Le secret transmis des macarons de Nancy
Roger Aptel, confiseur, passe recette et tour de main à Jean-Marie Génot, pâtissier.
Sous les yeux de toute la maison Génot, de la rue Gambetta, Roger Aptel a symboliquement montré sa fabrication à Jean-Maric Génot.
Une recette à « marquer »
Les Dames du Saint-Sacrement, du fond de leur monastère de l'actuel quartier Charles III, pensaient-elles à la renommée qu'aurait la friandise qu'elles confectionnaient, avec grande attention ? Nous n'en saurons jamais rien. En tout cas, le secret s'est transmis au fil des ans, à partir du moment où Suzanne Gillot et Elisabeth Morlot furent recueillies sous la Terreur par le médecin de leur communauté, dans sa maison de la rue de la Hache.
Ne sachant comment le remercier, sans argent, elles imaginèrent de confectionner des macarons et de les vendre, en gardant jalousement le secret de fabrication. C'est ainsi que naquirent, en 1793, les « Soeurs Macarons ».
Arrière-arrière-petit neveu d'Elisabeth Morlot, M. Moinel vendit le secret au père de Roger Aptel. Qui le partagea avec son fils dès 1948.
« C'est mieux quand on est deux à le connaitre, considère Roger Aptel. Lorsque mon père a disparu, il a fallu que je prenne des dispositions. Si J'avais eu un accident? Du Jour au lendemain, plus de secret. J'ai l'ai donc «marqué» (écrit). Je l'ai déposé en deux endroits différents, pour plus de sûreté. Maintenant, plus de problème, on est à nouveau deux... J'espère que M. Génot n'aura pas besoin de le marquer trop tôt... ». Eclats de rire.
C'est une affaire conclue de fraîche date. En janvier. Le jour anniversaire de Jean- Marie Génot. Ce n'est pas pour l'étonner: dans la famille, tous les grands événements, mariages, naissances, se passent ce mois-là. «Si j'avais su, on aurait fété ça » regrette Roger Aptel, seul détenteur depuis 1967 - après son père en 1935 - du secret de fabrication des Soeurs Macarons. Il vient de le céder à Jean-Marie Génot, pâtissier, installé depuis 1971 (en janvier, évidemment) au 127 rue Saint-Dizier.
Depuis un an, les deux hommes étaient en pourparlers. Voilà, c'est fait. Ils ont fini par s'entendre. Avec satisfaction, à en juger par les sourires réciproques.
« Chuuutt! »...
«La fabrication des seuls véritables macarons de Nancy est artisanale. Elle se fait quasiment tous les jours, et à la demande. Quelquefois, ma femme me disait: je vais en manquer. Hop, l'après- midi, j'en refabriquais » raconte volontiers Roger Aptel, qui se risque à une rare confidence: « Le secret, je ne l'aurais pas vendu à n'importe qui. J'avais quelqu'un, intéressé par l'affaire. Il voyait grand. Il voulait faire de l'in- dustriel. J'ai dit non. J'ai préféré vendre à M. Génot, même si c'est moins cher ». Ah oui, alors, combien ?
Les deux détenteurs du vénérable secret sont muets comme la tombe sur la transaction. « Vous n'aurez pas un seul chiffre de moi, pas méme mon age » sourit Roger Aptel qui fait «chuuutt» lorsque le nouvel initié se risque à dévoiler l'innocente bonne température du four, pour la cuisson des célèbres friandises. « C'est juste. convient Jean-Marie Genot. comme m'a dit M. Aptel, vous avez une marque à défendre ».
Pas un mot, done. A peine apprendra-t-on que les macarons des soeurs, c'est uniquement sucre, blancs d'oeufs "frais, pas des congelés", et amandes. "De Provence uniquement. Il faut les retenir d'avance pour en avoir toute l'année. On n'en trouvait plus. Depuis trois ans, c'est à nouveau possible ».
L'oeil sur la fabrication
Et c'est aussi un tour de main à acquérir. "J'apprends" dit Jean-Marie Genot avec humilité, oubliant que lui, aussi, il fabriquait des macarons : "Mais c'est pas du tout pareil. D'ailleurs, j'ai cessé. Nous ne vendons plus que les macarons des Soeurs. rue Saint-Dizier"
Tandis que Mme Genot est désormais le plus souvent derrière le comptoir du magasin de la rue Gambetta, la pâ- tisserie de la rue Saint-Dizier devrait finir, un jour ou l'autre, par trouver un autre propriétaire : « Je serai bien obligé de lâcher».
Mais dans l'immédiat, il est surtout question du prochain bicentenaire, en 1993, de la Maison des Soeurs. Roger Aptel a déjà sa petite idée, qui apportera sa contribution à la fête. Et se propose même, de reprendre du service lorsque les nouveaux propriétaires voudront à l'occasion prendre quelques vacances. D'abord parce-que, la confiserie, c'est sa vie. « J'ai toujours vécu là-dedans ». Ensuite, ce sera facile : il habite juste au-dessus du magasin. "Ca me permettra de vérifier la fabrication. Si, dans deux ans, je vois que les macarons sont plus ce qu'ils étaient, je le lui dirai. Ma femme m'a dit: tu ne vas pas faire ça ? J'ai répondu: mais si!». «Mais oui!» acquiesce Jean- Marie Génot.
Du haut de leur petit nuage doré, sûr que les soeurs donnent à la transaction qui vient de se faire, leur bénédiction. Rachel VALENTIN
